Histoire
Les débuts de la seigneurie
On pourrait être tenté de retracer l’origine de Saint-Ours à la fondation de la seigneurie du même nom. Pourtant, plusieurs années plus tôt, en 1603 et 1609, Samuel de Champlain y était furtivement passé, empruntant un cours d’eau qui ne s’appelait pas encore Richelieu. Ces premières incursions se déroulent dans un contexte fortement marqué par les relations établies entre les Français — venus occuper ce nouveau monde au nom de leur roi — et les nations autochtones, avec lesquelles ils établissent, selon le cas, alliances ou rapports guerriers.
Or, c’est précisément pour assurer le développement de la colonie et la sécurité de ceux qui y vivent que le roi ordonne l’expédition du Régiment de Carignan-Salières en Nouvelle-France, concrétisée en 1665. Cet effort militaire s’inscrit dans un plan consistant à implanter en Nouvelle-France une véritable colonie, ce qui n’a jusque-là jamais été vraiment tenté. Le meilleur signe en est la nomination de Jean Talon comme intendant par le roi Louis XIV. De 1665 à 1672, Talon remplit sa fonction avec un zèle qui fera dire aux historiens que son mandat constitue la seule grande époque de la Nouvelle-France.
L’organisation économique de la colonie repose avant tout sur un concept que le cardinal de Richelieu, principal ministre de Louis XIII, a instauré en Nouvelle-France dès 1627 : le régime seigneurial. En vertu de ce système, les terres sont concédées par le roi à des seigneurs. Elles ne sont pas données. Le seigneur est donc locataire de ce territoire vierge, découpé en longues bandes perpendiculaires aux cours d’eau, qu’il est chargé de mettre en valeur, notamment par la construction de routes et de moulins.
La présence du Régiment de Carignan-Salières – qui prend part à de nombreux engagements - met fin temporairement à la menace iroquoise, mais elle accomplit encore plus. Il faut en outre combler la lacune observée en matière de peuplement, une tare à laquelle on s’attaque, entre 1663 et 1673, avec l’arrivée massive des Filles du roi.
C’est dans cette optique qu’une trentaine d’officiers du régiment acceptent, en 1667 et 1668, une offre du roi, qui leur propose de devenir propriétaires de seigneuries. Plusieurs d’entre elles porteront les noms des officiers chargés de leur développement; des noms qui ont traversé les siècles et demeurent aujourd’hui encore associés à plusieurs municipalités. Parmi d’autres : Berthier, Chambly, Contrecoeur, Boisbriand, Sorel, Lavaltrie, Soulanges, Varennes, Verchères et Saint-Ours. L’entreprise de peuplement rapporte ses fruits. Entre 1665 et 1672, la population de la colonie double pour se chiffrer à 7000.
C’est donc dans un contexte troublé d’un espoir fragile qu’une seigneurie voit le jour à Saint-Ours. Le titulaire en est Pierre de Saint-Ours, officier du Régiment de Carignan-Salières. « À l’époque de son mariage, Saint-Ours reçut en concession la seigneurie de Saint-Ours qui s’étendait sur la rive sud du Saint-Laurent jusqu’à la rivière Yamaska, entre les terres de ses compagnons d’armes, M. de Saurel et M. Pécaudy de Contrecœur. Les titres de propriété lui furent cédés le 29 octobre 1672. Peu de temps après, il obtenait une autre seigneurie, située à la rivière Assomption et, en 1687, il héritait de celle de Saint-Jean Deschaillons près de la rivière Duchesne. Il se fit construire sur les bords du Saint-Laurent une demeure seigneuriale, tout en bois, et quelques-uns de ses soldats s’établirent dans les environs. Saint-Ours-sur-Richelieu et les propriétés avoisinantes furent dévastées par les Iroquois en 1691. La mise en valeur de la seigneurie se fit très lentement et ce n’est qu’en 1703 qu’on y construisit un moulin banal. »[1]
Le Grand et le Petit Saint-Ours
Les difficultés ne manquent pas. D’abord sise sur les bords du Saint-Laurent (ce qu’on appellera le « Grand Saint-Ours »), la seigneurie vivra plus tard une migration croissante vers le Richelieu, là où les terres sont meilleures et plus fertiles. En 1681, la population du Grand Saint-Ours est de 89 âmes et 13 familles. Deux ans plus tard, elle passe à 73 âmes et 12 familles. Parmi les censitaires qui persévèrent, on note déjà à cette époque des noms de famille qui traverseront les siècles et prendront racines dans la communauté : Emeri-Coderre, Herpin (Arpin), Allaire, Poupart, Baulsniers (Bonnier) dit La Perle.
À la mort de Pierre de Saint-Ours, en 1724, c’est son fils aîné, Jean-Baptiste de Saint-Ours de l’Eschaillon (aussi appelé Deschaillons) qui devient le second seigneur de Saint-Ours. En 1745, on compte 372 âmes dans la seigneurie. Parmi d’autres font partie de ce groupe les familles Chapdelaine, Sansoucy, Arpin (aussi Herpin et Harpin), Pichet-Dupré, Ménard, Coderre, Tellier dit Lafrance, Lamoureux, Labossière, Allaire et Martin. À cette époque, la seigneurie comprend 72 maisons, autant de granges, quatre-vingt-seize étables, environ 1900 arpents de terre labourable, 350 en prairie, 204 à la pioche et 107 en bois abattu.
Jean-Baptiste de Saint-Ours meurt en 1747. La seigneurie passe plus tard à Pierre-Roch de Saint-Ours qui, en 1773, règlera définitivement les limites des seigneuries de Saint-Ours et de Contrecoeur. La migration vers le Petit Saint-Ours (sur les bords du Richelieu) se poursuit de plus belle. Ce mouvement incite l’évêque de Québec, Monseigneur de Pontbriand, à ordonner la construction d’un presbytère au Petit Saint-Ours. (Ce qui sème l’émoi au Grand Saint-Ours et cause un conflit qui s’éternisera entre les deux secteurs de la seigneurie.) En 1750 s’installe au Petit Saint-Ours le premier curé résidant de la paroisse de L’Immaculée-Conception-de-Saint-Ours : Joseph-François d’Youville de la Découverte, fils de la célèbre Mère d’Youville. Ce n’est toutefois qu’en 1761 qu’une église y sera inaugurée. La même année s’ouvre une première école.
En 1782, à la mort de Pierre-Roch de Saint-Ours, la part que détenait ce dernier dans la seigneurie passe à ses fils, Paul-Roch et Roch-Louis, dit Charles de Saint-Ours. C’est sous ce dernier qu’est construit, en 1792, le manoir seigneurial au bord de la rivière Richelieu. (L’établissement sera restauré et pourvu d’un étage supplémentaire en 1871.)
Une communauté en évolution
Mille huit cent marque la mise en exploitation d’une fonderie à l’instigation de Pierre Grégoire. Six ans plus tard, un chemin entre Saint-Ours et Sorel est inauguré. Le 23 novembre 1831 a lieu l’érection canonique de la paroisse de L’Immaculée-Conception-de-Saint-Ours, dont le territoire couvre celui de la seigneurie. Trois ans plus tard, en 1834, au décès de Charles de Saint-Ours, François-Roch de Saint-Ours hérite de la partie de la seigneurie du défunt et rassemble les segments qui sont la propriété des autres descendants de Pierre de Saint-Ours.
C’est en 1836 que Saint-Ours devient le chef-lieu du comté de Richelieu. Le 7 mai 1837, 1200 personnes s’y réunissent pour adopter des résolutions où s’exprime la volonté d’émancipation du Bas-Canada. De grands noms de la cause patriote, tels Côme-Séraphin Cherrier et Wolfred Nelson, participent à cette Assemblée de Saint-Ours, qui donne le coup d’envoi à une série d’événements qui s’inscrivent dans le contexte de la Rébellion de 1837-1838. Contrairement à Saint-Denis et à Saint-Charles, Saint-Ours est épargné par la dévastation causée par le passage des troupes anglaises.
De 1844 à 1849 s’échelonne la construction du barrage et des écluses sur la rivière Richelieu. Les travaux réalisés au canal de Saint-Ours permettent l’installation d’un moulin à eau qui permettra la production de farine et de laine cardée pendant plus d’un siècle. (Modifiés au fil du temps, le site du canal et sa vocation en font de nos jours le fleuron touristique de Saint-Ours.)
La navigation sur le Richelieu et le potentiel agricole de Saint-Ours (la région dispose de terres de culture d’une exceptionnelle qualité) contribuent à l’époque de façon significative aux perspectives de développement de la paroisse. Si l’absence d’un chemin de fer à proximité réduira dans les décades qui suivront l’impact de ces possibilités, elles n’en font pas moins partie du paysage saint-oursois de l’époque et de son histoire économique.
En 1854, le régime seigneurial est aboli. L’année suivante est constituée la municipalité de la paroisse de L’Immaculée-Conception de Saint-Ours. Simultanément voit le jour la municipalité du village de Saint-Ours. En 1857, Saint-Ours perd aux mains de Sorel son statut de chef-lieu du comté de Richelieu. En 1866, le village de Saint-Ours devient une ville.
Des événements importants viennent marquer la vie religieuse et communautaire du temps. L’arrivée des Sœurs de la Présentation-de-Marie, installées, en 1868, dans le couvent qui vient d’être construit, représente un événement de premier plan. Après moult débats, la vieille église de 1761 est enfin détruite pour faire place à une autre, beaucoup plus imposante, et qui verra le jour en 1882. Le couvent est relocalisé quelques années plus tard. En 1891, les Frères de l’Instruction chrétienne s’installent à Saint-Ours. Trois ans plus tard, ils procèdent à la construction d’un collège. Incendié en 1897, le couvent est reconstruit peu après.
Au tournant du nouveau siècle, la vie municipale à Saint-Ours est marquée d’un débat sur l’usage des boissons alcooliques, les autorités ecclésiastiques locales faisant de leur mieux pour en réfréner les abus. (Ce n’est sans doute pas par accident que Saint-Ours accueillera plus tard le premier chapitre du mouvement Lacordaire, voué à la promotion de la tempérance.) Ce débat symbolise une constante de l’histoire saint-oursoise : l’opposition fréquente de la population à ses prêtres. Dans ses deux tomes sur l’histoire de Saint-Ours, le chanoine Couillard-Després ne manquera pas de souligner une propension à la chicane qu’il associe à un trait typique de la population. Un trait de caractère que cet historien respecté confond peut-être simplement avec une fierté énergique ou une volonté affirmée de ne pas se faire dicter ses attitudes par l’autorité religieuse du temps.
Quoi qu’il en soit, la municipalité de Saint-Ours connaît au 20e siècle une évolution qui ne la démarque pas nécessairement d’autres localités rurales réunissant essentiellement les mêmes caractéristiques. Cela va de soi, le cheminement de Saint-Ours ne l’a pas mis à l’abri des grandes mutations observables au fil du temps. Dans toutes les sphères de l’activité humaine, le Québec change et ses collectivités urbaines ou rurales suivent inévitablement la même évolution.
La réforme du système d’éducation opérée au début des années 1960 dans la foulée de la Révolution tranquille constitue sans doute le meilleur exemple de cette évolution, causant à la fois la disparition des écoles de rang et la création de polyvalentes réunissant les écoliers de niveau secondaire de plusieurs localités. Sur le plan local, Saint-Ours s’est doté en 1940 d’un nouveau collège, qui sera remplacé en 1974 par l’école primaire Pierre-de-Saint-Ours. Pendant plusieurs années, le collège offre l’enseignement aux garçons, alors que le couvent (une institution dont la réputation enviable dépasse largement les limites de la paroisse) en fait autant avec les filles, pensionnaires ou externes.
Regard vers l’avenir
À Saint-Ours, il y a quelques décades seulement, l’agriculture, toujours prépondérante, occupait une grande partie des familles, mais les exploitations de type familial, au gré de l’innovation technologique et d’autres facteurs, devaient se raréfier au fil du temps pour céder la place à de méga-fermes spécialisées et renommées. La navigation, qui jouait à une certaine époque un rôle économique significatif, remplira peu à peu une vocation essentiellement récréative.
Des institutions demeurent, néanmoins, telle la fonderie, qui changera aussi bien d’emplacements que de propriétaires, mais dont la place au sein de l’activité économique locale ne s’est jamais démentie. Par ailleurs, la population saint-oursoise est demeurée relativement stable en nombre. En 2010, la Ville de Saint-Ours (qui regroupe la ville et la paroisse depuis 1991) se composait de 1694 résidents.
Aujourd’hui, le canal représente la fenêtre la mieux connue de Saint-Ours, mettant en valeur une beauté naturelle qui fait son orgueil. La créativité de nombreux artistes vient doter la ville d’une vitalité culturelle qui lui est propre. La résolution des citoyens de Saint-Ours à valoriser son patrimoine historique fait aussi bien appel à la mémoire qu’à la fierté. Le secteur communautaire se montre particulièrement dynamique et l’apport de bénévoles au dévouement exemplaire constitue une véritable source de solidarité. C’est peut-être là que réside de nos jours la plus grande richesse de la communauté saint-oursoise.
Depuis maintenant 150 ans, la devise de Saint-Ours, « Forti nihil difficile » (Rien de difficile au courageux), indique une direction à suivre. C’est pourquoi ses monuments, ses lieux, ses maisons célèbres se révèlent moins des vestiges d’un passé riche en signification historique, que les symboles d’un élan à poursuivre.
[1] « Pierre de Saint-Ours », Dictionnaire biographique du Canada en ligne